samedi 28 juillet 2007

The Selfish Gene

Richard Dawkins chez amazon.com
Richard Dawkins sur Wikipedia (FR) (EN)


Éthologiste de formation, Richard Dawkins est principalement connu pour sa défense acharnée de l'évolution. (À la sortie du livre
L'Origine des Espèces de Charles Darwin en 1860, un débat fut organisé entre Samuel Wilberforce, évêque d'Oxford et Thomas Huxley, ami que Darwin a choisi pour défendre sa thèse parce qu'il se trouvait lui-même trop mauvais dans les débats. Pourquoi je mentionne ceci? Parce qu'à la suite de ce débat, Huxley fut surnommé "le Bulldog de Darwin". Aujourd'hui, on parle parfois de Richard Dawkins comme étant "le Rottweiler de Darwin".)

The Selfish Gene est son premier livre (et le plus lu). Il a aussi récemment publié "The God Delusion", dans lequel il affirme que la religion est une maladie mentale qui peut s'expliquer par la mémétique, concept sur lequel je reviendrai.

La question à la base du livre
The Selfish Gene peut paraître controversée: comment peut-on, d'un point de vue évolutionniste, expliquer les comportements de compétition et de coopération entre les individus?

Pour y répondre, il faut revoir les concepts de base de l'évolution. À l'école, on nous apprend que les traits spécifiques évoluent parce qu'ils sont favorables à la survie de l'espèce. Dawkins détruit ce modèle, en mettant le gène au coeur du processus de la sélection naturelle. Voici comment:

À l'origine de la vie, des molécules chimiques dites organiques (qui ne sont pas vivantes elles-mêmes, mais sont les composantes de base des unités vivantes) flottait librement dans les océans. Par de purs procédés chimiques correspondant aux rencontres aléatoires de ces molécules se sont créés les premiers réplicateurs, c'est-à-dire, des molécules capables de créer des doubles d'elles-mêmes. Ce furent les premiers gènes. Par la suite, des mutations chez ces molécules (causées par des processus de réplication parfois imparfaits) ont fait en sorte que différents types de réplicateurs sont apparus. La course de la vie et de la sélection naturelle est ainsi lancée: se battant pour les mêmes ressources (les molécules organiques qui ne sont pas encore regroupées en réplicateurs), différentes stratégies apparaissent aléatoirement et s'affrontent entre elles, les gagnantes survivant par leur reproduction plus nombreuse (ou plus fidèle, ou plus stable, ou une combinaison des trois) et les perdantes étant appelées à disparaître (on peut parler de stratégie pour simplifier le langage, mais il ne faut pas oublier que l'on parle de molécules chimiques sans conscience et sans but, ne faisant qu'obéir aux lois de la chimie auxquelles elles sont soumises.)

Parmi ces stratégies, on peut penser au vol des molécules organiques des autres réplicateurs (ou, pour donner une image plus facile à comprendre: manger les autres). Les réplicateurs qui finissent par développer des stratégies pour diminuer la possibilité de se faire bouffer survivent davantage. Et ceux qui contrent ces stratégies l'emportent plus tard. Course à l'armement dont le résultat final est assez surprenant: végétaux, animaux, bactéries, virus et autres.

Les formes de vie, telles que nous les côtoyons à tous les jours, sont, pour employer un terme de Dawkins lui-même, des machines de survie, chargées d'assurer la survie et la reproduction des gènes. La sélection naturelle favorise les gènes responsables de créer une machine de survie efficace (c'est-à-dire, adaptée à son environnement).

Dans l'environnement d'une machine de survie, on retrouve évidemment d'autres machines de survie. L'attitude à adopter envers celles-ci (compétition à la mort, coopération à la mort ou tout ce qui se trouve entre les deux) devient un facteur-clé pour déterminer la survie de la machine, et par conséquent, la reproduction du gène. C'est à l'étude de cette idée et d'une multitude de cas qu'elle soulève que Dawkins consacre la majorité de
The Selfish Gene.

Le dernier chapitre de l'édition originale de 1976 inaugurait un concept nouveau: celui du
mème, unité de base de la culture, semblable à l'idée de gène, l'unité de base de la biologie. Dawkins suppose et suggère que nous côtoyons désormais un nouveau type de réplicateur universel, qu'il appelle le meme (en anglais, rime avec "cream"), ou mème en français, qui peut correspondre à une idée, une chanson, une croyance, un savoir technique, une habitude, etc. et qui, comme le gène, se réplique et se multiplie dans les "environnements" mémétique, c'est-à-dire, les cerveaux humains, luttant pour les ressources (principalement, l'attention du cerveau). Et, comme chez les gènes, ce qui compte n'est pas forcément de favoriser la survie de la machine, mais bel et bien du mème lui-même (ce qui peut, bien sûr, passer par la survie de la machine hôte). En termes simples, tout le monde connaît "Agadou, dou dou, pousse l'ananas et mouds l'café" non pas parce que ça favorise la survie de savoir ça (au contraire, on peut finir par vouloir se tuer plutôt que de l'avoir dans la tête...), mais simplement parce que ça rentre dans la tête. Domaine émergeant des études multidisciplinaire, la mémétique est encore aujourd'hui un sujet chaud.

En résumé,
The Selfish Gene transforme la vision du monde, en inscrivant le réplicateur (sous toutes ses formes) au coeur de tout. Une vision fascinante, parfois dérangeante, mais toujours puissante et élégante. L'édition du 30ème anniversaire du livre est enrichi de plusieurs préfaces racontant la genèse, la réception et l'impact du livre, ainsi que de deux chapitres supplémentaires, qui font davantage usage de la théorie des jeux (toutefois présente dans le reste de l'ouvrage) et du concept de phénotype étendu (titre d'un autre ouvrage de Dawkins). Plus encore, une soixantaine de pages sont ajoutées à la fin du livre: des notes contenant les critiques adressées à Dawkins et ses réponses. Un ouvrage clair, bien écrit, parfois un peu long, mais qui mérite vraiment d'être lu par le plus grand nombre de gens possible.

Pour terminer, les citations habituelles.

"But the individual body, so familiar to us on our planet, did not have to exist. The only kind of entity that has to exist in order for life to arise, anywhere in the universe, is the immortal replicator."
(p. 266, phrases finales du chapitre 13, dernier chapitre des éditions augmentées)

"The point that I am making now is that [...] our conscious foresight -- our ability to simulate the future in imagination -- could save us from the worst selfish excesses of the blind replicators. We have at least the mental equipment to foster our long-term selfish interests rather than merely our short-term selfish interests. [...]We have the power to defy the selfish genes of our birth, and if necessary, the selfish memes of our indoctrination. We can even discuss ways of deliberately cultivating and nurturing pure, disinterested altruism -- something that has no place in nature, something that has never existed before in the whole history of the world. We are built as genes machines and cultured as meme machines, but we have the power to turn against our creators. We, alone on earth, can rebel against the tyranny of the selfish replicators."
(p. 201, dernier paragraphe du chapitre 11, le dernier de l'édition originale.)

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